Des locataires de la Rive-Sud craignent d’être jetés à la rue

le mercredi 11 août 2021

Une lettre envoyée le 22 juillet à des locataires de deux immeubles de la rue Charron, dans le secteur Le Moyne de l’arr. du Vieux-Longueuil, a eu l’effet d’une bombe : des travaux d’une durée de 18 mois exigent qu’ils aient quitté d’ici la fin septembre. Affirmant avoir reçu des aveux explicites de «rénoviction», des locataires réclament que leurs droits soient respectés.

Seule une partie des locataires des 32 logements des deux bâtiments situés au 40-42-44 et 46, rue Charron ont reçu l’avis acheminé par Maher & Du Tremblay Gestion immobilière, le gestionnaire qui agit pour Habitations Charron, propriétaire des lieux depuis mai.

En donnant à peine deux mois aux locataires pour se reloger, le gestionnaire ne respecte pas le délai de trois mois prescrit par la loi dans le cas d’une évacuation reliée à des travaux d’une durée de plus de sept jours.

En outre, il n’offre aucune indemnité aux locataires. Selon le Tribunal administratif du logement, il est tenu d’offrir une indemnité «afin de couvrir les dépenses (ex. : frais de déménagement, d’entreposage, excédent du loyer payé pour le logement temporaire, etc.) à assumer lors de l’évacuation des lieux».

Le document dresse la liste des rénovations à effecuter (voir plus bas).

Craintes et confusion

{{HTML|IMG|MEDIA|919}}(Photo: Gracieuseté)

Plusieurs éléments font douter les locataires des intentions réelles du gestionnaire quant à l’avenir des immeubles de la rue Charron.

Je leur ai demandé s’il s’agissait de rénoviction… et on m’a répondu oui!»
-une locataire

«Il y a beaucoup de personne vulnérables, des gens malades, avec des problèmes de santé mentale, des gens âgés. Ils veulent profiter de cette vulnérabilité pour changer la clientèle et doubler les loyers», craint-elle.

«Oui, ils veulent rentabiliser, mais il faut que ça arrête, poursuit-elle. Il faut qu’ils comprennent qu’ils doivent respecter nos droits. Ce n’est pas parce qu’on est malade qu’on est stupide!»

Un autre locataire raconte au Courrier du Sud qu’un administrateur de Maher & Du Tremblay Gestion immobilière lui aurait affirmé que le bâtiment sera détruit. Le locataire avait demandé à plusieurs reprises qu’une réparation mineure soit effectuée dans un logement, sans succès. Il a profité du passage du gestionnaire sur les lieux pour le relancer.

«Il m’a dit : on va faire tomber la bâtisse, alors ce n’est pas nécessaire de réparer», relate l’homme.

Par ailleurs, des appartements vides auraient été démolis en juin. «On a arraché les murs, les plafonds, les lavabos…tout!» Des travaux qui auraient été exécutés sans permis de la Ville.

Au moment d’écrire ces lignes, le journal était toujours en attente d’une réponse de l’administration municipale à cet effet.

«Intimidation»

Les locataires dénoncent également la façon dont le gestionnaire échange avec les locataires.

Une locataire s’est vue refuser des réparations dans son logement parce qu’elle refuse de quitter d’ici la fin septembre. «Je prends ça pour de l’intimidation, accuse la femme. Ils veulent se débarrasser de nous.»

Un constat que partagent l’ensemble des locataires à qui le journal a parlé et qui ont souhaité conserver l’anonymat par crainte de représailles.

«Je m’excuse de le dire comme ça, mais on ous traite comme de la marde. Ils nous parlent méchamment, ils se foutent de nous.» – un locataire

Attente et inconnu

Des locataires ont déjà signifié au gestionnaire qu’ils refusaient de quitter. Dans l’attente d’une réponse, c’est l’inconnu.

«J’ai été beaucoup malade, je ne dors pas bien depuis que ce sont les nouveaux propriétaires», témoigne une locataire.

«Je suis très bouleversé», admet un autre.

Certains ont jeté un œil aux quelques logements disponibles sur le marché, mais ces recherches sont accompagnées d’un stress, considérant notamment le peu de temps qui leur est laissé pour quitter. Des locataires auraient souhaité que le gestionnaire respecte le bail signé le 1er juillet.

«Ils ne veulent pas nous donner de compensation. Ça n’a pas d’allure! J’ai regardé, et il n’y a rien en bas de 800$. C’est trop cher pour moi», témoigne une locataire qui paie actuellement un loyer de 540$, incluant le chauffage et l’électricité.

Au moment d’écrire ces lignes, Maher & Du Tremblay Gestion immobilière n’avait pas donné suite aux appels et courriels du journal.

 

Forte mobilisation

Dans la semaine du 2 août, des locataires ont rencontré des membres de l’équipe du Comité logement Rive-Sud, afin d’avoir de l’aide dans leur combat. Plus de 15 étaient au rendez-vous.

«On n’avait pas assez de chaises pour tout le monde, illustre Caroline Vohl, organisatrice communautaire de l’organisme. Il y a rarement une aussi grande mobilisation.»

Elle confirme que le délai trop court ainsi que l’absence de proposition d’indemnité dans l’avis du gestionnaire constituent des manquements.

Le terme «rénoviction» n’existe pas au sens de la loi, mais il est employé lorsque des locataires quittent leur logement à la demande du propriétaire en raison de travaux majeurs.

Par ailleurs, le délai de 18 mois pour la durée des travaux lui apparaît «exceptionnel». «C’est difficile d’entrevoir de revenir après un an et demi», laisse-t-elle entendre.

Mme Vohl évoque aussi les craintes des locataires que le prix des loyers bondisse au terme des travaux. Le propriétaire se devra de respecter certains barèmes. 

10 jours

Les locataires qui ne souhaitent pas quitter leur logis avaient 10 jours pour le signifier au propriétaire.

«Le propriétaire peut alors, dans les 10 jours suivant le refus du locataire, s’adresser au Tribunal administratif du logement, qui statuera sur l’opportunité de l’évacuation et pourra fixer les conditions qu’il estime justes et raisonnables», décrit le Tribunal administratif du logement (TAL).

Ainsi, malgré certaines non-conformités, il est actuellement trop tôt pour les locataires pour entamer quelconque démarche auprès du TAL. «La balle est dans le camp du propriétaire», mentionne Mme Vohl.

Advenant que le gestionnaire se présente sur les lieux pour chasser les locataires le 30 septembre, ceux-ci doivent contacter la police, conseille le Comité logement Rive-Sud.

 

Des travaux majeurs

{{HTML|IMG|MEDIA|917}}

Les immeubles 40 et 42-44-46 rue Charron (Photo: Le Courrier du Sud – Ali Dostie)

Le document dresse la liste des réparations majeures à réaliser : solidification de la structure du bâtiment, changement de la cuisine, de la salle de bain ainsi que des revêtements de plancher, conversion du système de chauffage à l’eau chaude pour un chauffage électrique, entre autres.

Des recommandations tirées d’un rapport d’expert en structure, dont le journal a obtenu copie, font état des correctifs à apporter aux bâtiments datant des années 1965-1970.

Ajout de blocage pour prévenir le flambement des solives, réfection des balcons (qui constituent l’unique accès de certains logements), imperméabilisation des murs de fondation et «validation/ajout» de drain français sont du lot.

Les travaux sont suggérés dans un horizon de moins de 3 mois, 6 mois ou moins, ou dans 1 à 3 ans.