Le sac en cuir

le mercredi 12 octobre 2016

Voici le billet du 12 octobre 2016 d’Hélène Gingras.

Est-ce qu’il arrive qu’une odeur vous transporte?

@R:De mon voyage cet été au Maroc, j’ai ramené un sac de voyage en cuir. Vendu par l’artisan lui-même. Qui a pris le temps de m’en expliquer la confection. Dans les moindres détails. Puis, comment en disposer. Pour le conserver le plus longtemps possible.

Ce sac acheté ici m’aurait coûté au moins trois fois son prix. C’est un souvenir précieux. 

Malgré tout, je ne l’ai pas encore utilisé. C’est qu’il sent fort. Le cuir? La teinture? Comme je ne veux pas que mes vêtements en prennent l’odeur, j’attends un peu. Entre-temps, je le laisse aérer. Dans le salon la plupart du temps.

Les jours où il a fait plus chaud, sa senteur était particulièrement prenante. Impossible de passer près sans qu’un effluve me monte au nez. Me ramenant instantanément sur les toits de la médina de Fès au Maroc. Où j’ai eu l’occasion de voir à l’œuvre les employés d’une tannerie traditionnelle qui a plus de 1000 ans. Protégée par l’UNESCO depuis quelques années. Qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles pour gagner leur vie. Sous un soleil brûlant.

L’odeur de mon sac, elle a pris naissance à cet endroit. Parmi ces vases de pierre tantôt remplis d’un liquide ou de teintures naturelles de toutes les couleurs (indigo, safran, bois de cèdre, etc.). Le spectacle était d’une beauté incomparable pour les yeux. J’étais fascinée. Je ne pouvais m’arrêter de prendre des photos. Sur tous les angles.

L’odeur, quant à elle, était plutôt insupportable. Parce que les ouvriers utilisent notamment des excréments de pigeons pour débarrasser les peaux de chèvre, de vache, de mouton et de chameaux de la graisse, de la chair et des poils qui restent. Également pour adoucir le cuir afin que le colorant y adhère. Un lent travail à la main. Qui a très peu changé depuis l’époque médiévale. Constitué d’étapes étalées sur plusieurs jours.

Moi qui ai généralement un estomac à toutes épreuves, je n’ai pu réprimer un haut le cœur à un certain moment. Tant l’odeur est poignante.

Et je ne peux plus la dissocier du sac.  Dès que je le sens, je me revois sur les toits de Fès pendant un court instant. Avec un devoir de reconnaissance envers ces tanneurs dont c’est le pain quotidien.