Nos alliés «sauvages» et la grande Bataille de La Prairie

le mercredi 10 février 2016

Article tiré de la revue «Au jour le jour» d’octobre de la Société historique de La Prairie-de-la-Magdeleine, qui met en relief le rôle méconnu joué par les troupes autochtones lors de la grande Bataille de La Prairie en 1691.

Albert LeBeau

 

Pendant l’interminable guerre franco-iroquoise (1687-1701), nos alliés Algonquins se rendaient chaque année à la grande foire aux fourrures de Montréal. Au mois de juillet 1691, les Algonquins du nord; les Abitibiwinnis et les Temiskamings descendaient la Grande Rivière (L’Outaouais) pour se rendre de nouveau à Montréal et ils étaient encore dirigés par leur grand capitaine de guerre que les Français surnommaient «Routine». Tout au long de son parcours, Routine s’allia ses frères Algonquins et Outaouais, tant ceux de Michilimakinac que de l’Isle-aux Allumettes ainsi que ceux de la Petite-Nation et d’ailleurs, pour ainsi mieux résister à toute attaque ou embuscade iroquoise.

L’arrivée de Routine en 1691 s’avéra providentielle pour la petite colonie française et Louis-Hector de Callière, le gouverneur militaire de Montréal. Callière avait appris de ses espions que le maire d’Albany, Pieter Schuyler, était à la tête d’une armée composée de 400 à 500 soldats, y compris des Mohawks, des Onneiouts (Oneidas) et des Mohicans. Cette armée devait faire jonction avec une autre de 500 Iroquois, surtout composée de Tsonnontouans (Senecas) des Grands-Lacs, pour attaquer le petit village palissadé de La Prairie-de-la-Magdeleine et, si possible, Montréal qui ne comptait que 650 habitants français à l’intérieur de ses fortifications.

Le 3 août, Callière traversa le fleuve Saint-Laurent avec sa petite armée composée de 15 compagnies franches de la Marine et quelques-unes des meilleures milices de Montréal. Ce corps d’armée, considérable pour l’époque, était aussi accompagné de nos précieux alliés; autant Abénakis, Outaouais, Hurons, et les Algonquins de l’intrépide Routine. Également présents, les Iroquois chrétiens ou Agniers du Sault-Saint-Louis (Kahnawa:ke) et leurs frères de la Mission de la Montagne qui étaient accompagnés, comme d’habitude, de leur aumônier militaire, le sulpicien Robert-Michel Guay. En tout, Callière avait avec lui un minimum de 750 soldats et miliciens, ainsi que 300 à 400 guerriers pour attendre l’ennemi «de pied ferme» à La Prairie.

Après une longue semaine d’attente et voulant attirer les ennemis dans un guet-apens «entre deux, afin qu’ils ne nous échapassent pas», Callière dépêcha tôt le vendredi 10 août au fort Chambly, «l’endroit par où les ennemis devaient venir», son meilleur commandant de bataillon, Philippe Clément du Vuault, sieur de Valrennes, et ses troupes d’élites. Valrennes ainsi que le commandant du fort Chambly, Raymond Blaise, sieur Des Bergères, avaient reçu leurs ordres de bataille pour contrer les envahisseurs; «ordre de les laisser passer et de les suivre en queue». Avant-garde et éclaireurs sur les cinq lieues du sentier La Prairie / Chambly, les valeureux Routine, Ouéouaré et Hono8enhag ainsi que leurs guerriers étaient le fer de lance de ce bataillon d’élite, guidant l’importante expédition militaire sur sa dangereuse mission que tous savaient très cruciale et décisive.

Sanglante confrontation

Louis de Buade, comte de Frontenac, gouverneur de la Nouvelle-France, qualifia la très violente et sanglante confrontation du lendemain comme suit: «Depuis l’établissement de la colonie, il ne s’est rien passé en Canada d’aussi fort ni de si vigoureux».

Entre temps au fort La Prairie, surpris par l’imposante présence de l’armée française, le major Schuyler et ses hommes «noserent pas sangager à la face de tant de monde» et fuirent La Prairie «with all haste» pour se rendre à leurs canots situés près des vestiges d’un ancien fort français; aujourd’hui Saint-Jean-sur-Richelieu. C’est sur ce sentier du retour que Schuyler et ses troupes new-yorkaises affrontèrent le bataillon du commandant de Valrennes.

En effet, alertés par le signal des coups de canons, les Français et leurs alliés revenus du fort Chambly les attendaient en formation de pointage, à mi-chemin derrière une barricade et des abattis situés sur un coteau en forme de «half moon». Valrennes affirma que «les ennemis marchaient avec précipitation, croyant par leurs cris nous étonner, ils vinrent donner jusqu’ à la portée du pistolet (30 pieds) du retranchement et de la décharge du premier rang; il leur tomba plus de trente hommes; ce grand feu ne les étonna pourtant pas, et les Anglais et Agniers revinrent jusqu’à trois fois à la charge et après une heure et demi de combat, ils se retirèrent». Valrennes dit aussi qu’il y eut «grande tuerie de part et d’autre» et que «nos soldats de la Marine s’y distinguèrent aussi beaucoup et l’émulation qu’il y avait entre les Français et les Sauvages faisait faire à chacun parfaitement son devoir».

Quoique l’ennemi fut presque deux fois plus nombreux, «les Mohicans qui ne s’attendaient pas à une si vigoureuse résistance, lachèrent un peu le pied». C’est alors que le téméraire «Routine et sa bande croyant les entourer et mettre en déroute fut lui-même repoussé par les ennemis; ce fut là que se fit une espèce de mêlée, chacun quittant son poste (derrière la barricade) pour se battre à coup de main (l’épée, le tomahawk, la hachette ou le casse-tête) mais après une heure et demi de combat les Anglais (Iroquois païens et Mohicans) furent contraints de se débander, et la déroute fut entière».

Selon Frontenac, «Les ennemis ont été obligés de plier et se sont retirés en grand désordre après avoir eu plus de 120 hommes tués sur la place, d’avantage de blessés et laissé quelques prisonniers et un de leurs drapeaux… Valrennes a conservé la gloire des armes du Roi et procurer un grand avantage au pays». Le dimanche 12 août, l’intendant Jean Bochart de Champigny, présent à Montréal et témoin des événements de la veille, écrivit au ministre de la Marine «Valrennes les a tués et blessés presque tous».

Le samedi 11 août 1691, les capitaines de guerre Routine, Ouéouaré et Hono8enhag et leurs courageux guerriers Algonquins, Hurons et Agniers du Sault (Kahnawa:ke), en plus des quelques Outaouais et Abénakis présents, avaient participé de façon volontaire à ce haut fait d’armes que Frontenac qualifiait, en quelque sorte, de L’heure de gloire de la Nouvelle-France. Cette victoire décisive, qui eut lieu dans une clairière de la seigneurie de La Prairie-de-la-Magdeleine, ainsi que la déroute complète des troupes new-yorkaises étaient un point tournant dans ce conflit de guérilla sans fin, et elles établissaient le premier jalon de ce qui allait mener à la signature de la Grande Paix de Montréal en 1701.

À nous d’en conserver le souvenir car, comme nous, nos alliés ne cherchaient pas la gloire, mais la sécurité et le mieux-être de leur pays. De ce qui fut aussi leur victoire naquit notre fierté et certainement une des plus grandes épopées de l’histoire de la Nouvelle-France. (TC Media)