Une auteure de Candiac raconte son expérience d’émigrante

le vendredi 10 février 2017

C’est le récit d’un déracinement qu’aborde l’auteure candiacoise Alina Dumitrescu avec son premier livre, Le cimetière des abeilles, aux éditions Triptyque.

À travers de courts textes empreints de poésie, l’auteure traite de la thématique de l’émigration dans ce qu’elle qualifie d’autofiction. Celle de quitter sa Roumanie d’origine menée de main de fer, de 1974 à 1989, par l’ex-dictateur Nicolae Ceausescu.

«C’est un récit avec un style très spécial. Je jette un regard philosophique qui part de mes expériences, des choses que j’ai lues et vues; je les ai amenées plus loin et extrapolées. On parle trop peu de tout ce qui nous a obligés à nous déraciner. Et aussi de l’enracinement, c’est-à-dire des compréhensions et incompréhensions de la société qui nous accueille», mentionne-t-elle.

C’est dans la cadre de la politique de réunification des familles qu’Alina Dumitrescu a rejoint au Québec en 1989 le père de son premier enfant âgé de 2 ans. Elle avait 28 ans. Elle ne savait pas à quoi s’attendre, puisque toute information provenant de l’extérieur de son pays d’origine était censurée.

«En Roumanie, on ne pouvait même pas se réunir à cinq ou six personnes, c’était interdit. Tout était surveillé par la police secrète. Le téléphone était sur écoute. Les frontières étaient fermées. Nous étions enclavés. Et on croyait que cette situation serait éternelle», raconte l’écrivaine.

En plus de composer avec la paranoïa de l’ex-République socialiste, sa famille de confession protestante devait affronter l’Église orthodoxe religion majoritaire du pays.

«On était doublement persécutés: autant par les communistes en place que par les orthodoxes qui étaient aussi communistes», fait-elle remarquer. 

Se libérer par les mots

C’est en raison de l’obscurantisme du régime Ceausescu qu’Alina Dumitrescu doit sa passion des mots.

«En Roumanie, tout nous était interdit. Les choses qui restaient étaient classiques: la musique et les livres.  Elles étaient à notre disposition autant pour nous distraire que nous former. On se passait des livres entre nous et on y cherchait des sens cachés. Le titre initial de mon récit était Sous-titrage, car entre nous, là-bas, on avait développé une espèce de langage puisque la police secrète nous surveillait», confie-t-elle.

«Il fallait se trouver une liberté intérieure, car il n’y avait pas de liberté extérieure, poursuit-elle. En même temps, j’avais la jeunesse, et la nature est opportuniste. On trouvait, malgré tout, notre plaisir, notre bonheur de vivre. On participait à des concours même s’ils étaient organisés par le Parti. C’était notre vie, notre référence. Nous n’étions pas misérables tout le temps», ajoute-t-elle en riant.

 

Murs

Au cours de la trentaine d’années qui s’est écoulée depuis son départ de la Roumanie, Alina Dumitrescu a-t-elle su profiter d’une liberté de paroles et de mouvements?

«Pour moi, c’était trop tard. C’est comme une personne ou un animal qui reste trop longtemps dans une cage. On a des réflexes conditionnés. Je n’ose pas aller jusqu’au bout de la liberté qui est extérieure. J’ai des murs à l’intérieur de moi. Je dois prendre ces bouts de briques et me refaire une habitation à moi», raconte-t-elle.

Alors qu’elle planche sur un deuxième ouvrage, Le cimetière des abeilles a été soumis par son éditeur au Prix Goncourt du premier roman et au Prix des cinq continents de l’Organisation internationale de la Francophonie. Les lauréats seront connus respectivement en mai et à l’automne.